Laurent Guillaume descend enfin de sa montagne pour boire un coup à la Java des Flacons avec René Vuillermoz...
Laurent Guillaume
Sa dernière parution : Un coin de ciel brûlait (Michel Lafon)
Le "nez" de Onzième Sens
Début juin 2021. Laurent Guillaume est revenu d'Afrique. Il sent bon le sable chaud, et le besoin de retrouvailles. De son quotidien de lutte contre les criminalités dans les impasses africaines, il en extrait le plus romanesque pour construire, nourrir des romans nés de son vécu passionné. Laurent a un truc pour lui : il n'est pas blasé. À l'inverse de nombre de ses contemporains qui baissent les bras, il conserve cet optimisme forcené pour tout ce qui relève de notre humanité, même corrompue. C'en est désarmant d'énergie. Ce n'est plus un gamin, mais on a toujours l'impression du surgissement du gnard pénible et effronté, mais attendrissant, du fond de la classe. Et comme tous les punis au tableau, c'est en fait un grand timide, qui dissimule le meilleur. Dans les salons du livre, il claque des tonitruants "Ma Poule", mais son écriture, sur le fil, alterne une double musicalité, chirugicale, et souvent douce. On le bénit d'avoir biberonné dans sa jeunesse du Goodis, Lieberman et Hammet avant d'opter pour le code pénal. Depuis quelques années, il traîne en Afrique de l'Ouest, son territoire de jeux et de lutte contre les trafics, avec cette toujours envie de périples trébuchants, tels celui de son tout frais, tout tiède, tout chaud roman, "Un coin de ciel brûlait" (titre sublime - on est jaloux - , illustrant tant cette Afrique que nous aimons malgré tout), chez Michel Lafon. Il y est question d'enfants soldats, de diamants de sang, de Sierra Leone, d'apparente impunité, et d'impératif de justice, malgré tout... Et comme rien ne lui suffit, ce méga actif de Laurent Guillaume créé aussi pour l'audiovisuel, avec les co-écritures de "Borderline" (d'après "96 heures", le document de Christophe Gavatmayer), et de la série "Section Zéro". Parfois tout arrive, et les piles de ce frénétique lapin Duracell s'épuisent. Ouf, il est l'heure de boire un coup avec les amis. Ça tombe bien, Laurent possède la carte de "bon camarade" de René Vuillermoz, un rare privilège. René, tour à tour facteur, berger, guide de haute montagne, libraire, créateur des rencontres "Histoire d'en parler" et du festival "Les Pontons Flingueurs", quelque part est notre "point fixe". Nous revenons vers lui lorsque nous avons besoin de retrouver sens en l'amitié, et goût de l'instant. Et, quelque part, si ce blog existe, en l'esprit, René n'y est pas étranger. C'est notre parrain d'alchimies. Alors, savourons le moment. Celui de boire un coup avec René à la Java des Flacons, l'antre de lumière de Bruno Bozzer, radieux caviste de bord de lac, et de simples bonheurs, à Annecy. Laurent descend donc de sa montagne...
Laurent Guillaume et Jean-Paul Carminati aux Pontons Flingueurs
Les complices de la Java, par Laurent Guillaume
J’habite à flanc de montagne, une paroi d’abord douce et qui se redresse en couronne, verticale et granitique. Des épicéas, des sycomores et des sapins forment des dégradés de verdure dans la barbe de ce vieux géant. En bas dans la vallée, il y a un lac aux eaux capricieuses dont les reflets varient de l’indigo au saphir selon l’humeur des vents et des nuages. Blottie contre le lac, la petite ville toute en canaux, en ponts et en venelles accueille des bus entiers de touristes aux vêtements criards. Des retraités flageolants sillonnent les rues, mitraillent les façades à grandes rafales de Nikon pendant que des guides nerveux brandissent de petits drapeaux péremptoires pour rameuter le troupeau.
Je n’aime pas descendre dans la vallée sauf quand j’ai rencard au petit port. Au petit port, il y a la Java des Flacons, le royaume de Bruno. Le nom déjà est une invite aux libations et à la joie. L’endroit, un peu sombre, embarrassé de savantes guirlandes, les fameux flacons, allant de la plus discrète Mondeuse au premier cru de Meursault, est organisé en tanière familière.
On s’y sent bien.
« René est le berger, l’alpiniste, le patou qui surveille le troupeau. Il est les fleurs des alpages, les lapiaz et les névés».
Je m’y sens bien d’autant que c’est là que René et moi tenons audience. René… L’homme ne laisse pas indifférent. Il est plus vieux qu’il ne paraît avec cet air d’éternelle jeunesse. Le visage cuivré, façonné par le soleil, la neige et les cimes, au milieu duquel brillent deux lacs de montagnes, tantôt gris orage tantôt bleu azur. René est fait de l’essence de la montagne, elle est inscrite en lui. Il est le berger, l’alpiniste, le patou qui surveille le troupeau. Il est les fleurs des alpages, les lapiaz et les névés.
René, Laurent, et Bruno
On s’embrasse et Bruno débouche une bouteille. Souvent une merveille*. Déjà le bruit fait de nous des complices. Je ne sais pas comment il se débrouille, mais lorsque Bruno verse le vin dans les copita, c’est toujours avec cette élégance consommée de l’amoureux. Je lui envie cette dextérité, je suis gauche quand je sers le vin, emprunté. Alors, tous les trois nous faisons tinter nos verres et nous parlons de ce qui nous rapproche, la littérature en général, le roman policier en particulier, le vin et l’amitié. Bruno débouche une autre bouteille. Une merveille également**. Les papilles frissonnantes, les yeux brillants, on assène des déclarations tapageuses à un public de circonstance qui feint de ne pas nous écouter. C’est ce que j’aime croire. Et puis finalement, il faut y aller, braver la route et se quitter. Je remonte dans ma montagne, certain que bientôt je descendrai à nouveau dans la vallée, à la Java des Flacons pour y célébrer l’amitié.
Laurent Guillaume
Boire un verre à...
La Java des Flacons
49 avenue du Petit-Port • 74940 Annecy • 0450233139
Bruno Bozzer a proposé, et Laurent et René se sont exécutés et ont bu, toujours disciplinés ici (mais pas ailleurs) :
* Vouvray cuvée "Perruches" 2018, du Domaine de la Rouletière, noisettes fraîches, végétal avec minéralité, bel équilibre sec-gras, bref, délicieusement "En même temps"...
** Collioure blanc 2018 du Domaine Vial-Magnères, les deux montagnards tombent leurs polaires et filent dans la garrigue, mais on est sur un rivage de Méditerranée, c'est donc joliment iodé, et c'est à boire bien entendu sur les huîtres de la Java des Flacons...
(Dis-nous, Laurent, quand tu redescends à "la Java", on sera là, avec René et Véro..., c'est promis)
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