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Blaise Hofmann magnifie la vigne et la littérature en Pays de Vaud

Dernière mise à jour : 4 déc. 2021




Onzième Sens retourne en Suisse, à la rencontre de Blaise Hofmann, conteur de voyages mirifiques et viticulteur amoureux de son monde, le nôtre. Bienvenue à Morges, où le vignoble épouse dignement le Léman


 

Blaise Hofmann

Sa dernière parution :

Deux petites maîtresses Zen (Editions Zoé)




 


Le nez de Onzième Sens


Temps grisou sur l'hexagone, l'hiver s'installe, et même en Provence ça sent le coup de mou. Opportunément, on a ce rendez-vous téléphonique avec Blaise Hofmann. Chance ! Voix chaleureuse, et enthousiaste, transmettant un optimisme communicatif. Nous bénéficions, à Onzième Sens de la bénédiction d'une chaîne de liens bienveillants, d'abord le conseil posé et toujours amical de Frédéric Fredj recevant Blaise à son "Mille-Feuilles" de mi-décembre, et m'alertant sur une supposée proximité entre l'écrivain suisse et le vin. Frédéric avait vu juste. Après l'excellent texte d'Olivier Chapuis sur les vendanges en Lavaux, on ne pouvait imaginer retourner si vite en Suisse... Et pourtant...



Blaise Hofmann n'est pas seulement écrivain, poète, dramaturge, journaliste et coureur du monde : depuis 2017 il travaille aussi la vigne. Sa vigne, à Villars-sous-Yens, sur les hauteurs de Morges en bord de Léman, transmise par ses parents, Anne-Lise et Walti, ce dernier ayant exploité en tâcheron des vignobles, et conservé un hectare en propriété, où sont plantés ceps de chasselas, gamay et garanoir (similaire au gamay, mais plus résistant).


Blaise et Walti


Il fallait bien ça pour ramener Blaise à une relative sédentarité. Le garçon a vu du pays. Du Bénin à la Sibérie, en passant par l'Asie Centrale, l'Iran, les ailleurs de Blaise reflètent une épopée personnelle à la recherche de soi, puisqu'on n'est jamais plus soi-même que confronté aux lointains. Il n'est pas de réelle solitude dans la conquête des autres, au-delà de son premier horizon. La planète, notre maison, mérite voyages improbables, trébuchements, et espérances. Des incertitudes du monde, des sourires sans la moindre des frontières, Blaise Hofmann a bâti une oeuvre littéraire incomparable, déclinée en chroniques de voyages, et romans, méritant hautement le prix Nicolas Bouvier 2008 au festival des Étonnants Voyageurs, pour "Estive" (Éditions Zoé), retraçant son expérience de berger (ce garçon a tout fait, c'est pénible). Son dernier livre, "Deux petites maîtresses Zen" (Éditions Zoé) nous entraîne, en famille dans son dernier grand périple, du Japon à l'Inde, traversant Cambodge, Laos, Birmanie, Thaïlande, et Sri Lanka, avec sa compagne et ses deux petites filles de deux et trois ans, dans une itinérance de sept mois un rien désabusée dans une Asie lissée par la globalisation, où l'on peut encore néanmoins quérir une dernière poésie malgré la marchandisation. Mais Blaise se fait une raison : "Si je suis de la génération X (j’ai pu faire un dernier voyage déconnecté en 2001), je voyage avec une amoureuse de la génération Y et deux enfants de la génération Z". Et puis aussi, poser son sac (mais on ne jurerait de rien), retrouver le vignoble familial, et avoir comme illumination l'envie, le besoin, le plaisir de devenir réellement viticulteur à l'occasion de la Fête des Vignerons à Vevey en 2019, à l'occasion de laquelle Blaise se transfigure librettiste en co-écriture avec Stéphane Blok du livret des spectacles de cet incroyable festival qui réunit un million de visiteurs et durant lequel le village devient un "caveau joyeux à ciel ouvert". Deux des trois textes remarquables que nous propose Blaise sont des poèmes tirés de son spectacle. Le premier évoque les racines, le second un dialogue impossible entre celui qui vit sa vigne, et celle qui tient la maison et les douleurs, jusqu'à l'inversement des rêves et des envies de chacun.


Blaise Hofmann est donc de retour au pays. Il évoque, après le dépaysement, le "repaysement". C'est un repaysement naturel, là où il est né, d'entre les ceps, qui ont été plantés à sa naissance. Symbiose entre celui qui a grandi avec sa vigne, s'éloignant d'elle pour des voyages audacieux, et marchant depuis quatre ans dans les pas de son père, reproduisant ses gestes, se coulant dans cette passion lémanique qui menace évidemment les embarquements à Genève-Cointrain. Lorsque l'on pose son sac sur cette rive offerte aux soleils d'après l'aube, il est si facile de se laisser gagner d'hédonisme casanier. D'autant que Blaise démultiplie les signes d'enracinement volontaire, avec l'ouverture sur les quais de Morges (les quais bénis de Morges par les écrivains chanceux de participer au festival du livre éponyme) de la Coquette, buvette viticole estivale (zut, il faudra attendre les beaux jours, et le 1er juin 2022...). Se sédentariser, en fait, pour Blaise, n'est pas synonyme d'oisiveté. Il bosse. Il bosse ses textes, il travaille son vignoble. Avec bonheur. "Jamais une seule fois où je ne suis pas heureux d'aller à la vigne". Dans laquelle, il s'adonne entre le désherbage manuel, et tous les soins aux ceps comme ses frères, à la méditation, avec le Léman pour oubli. On l'interroge sur la part dévorante du travail de vigneron, il répond synergie évidente entre les deux activités pour lesquelles il privilégiera toujours la qualité. Il taille sa vigne comme ses écrits, "égrappant" les mots, et abandonnant son raisin à la vinification comme ses lignes au travail éditorial. Il confie ses textes depuis toujours aux éditions Zoé, et ses grappes à l'oenologue Rodrigo Banto à la Cave de la Côte, élue cave suisse de l'année en 2019. On retiendra la fidélité, aussi, donc, comme ligne de vie (pas de bol, les filles, et les garçons...). Fidélité aussi pour le vignoble lémanique. Évidemment on interroge Blaise sur les vins français. Il a conserve un souvenir ému de son atelier d'écriture en Bourgogne à Fleurville, à la DIstyleRIE, et des soirées de dégustations heureuses au bord de la Saône. Mais rien ne remplacera son terroir vaudois, son gamay, son chasselas "identitaire", et sa passion pour les cépages anciens plantés sur la Côte, comme l'altesse, le plan robert, et le servagnin. Il a raison de chérir ses vieilles vignes, donnant deux cuvées célébrées, labellisées Terravin : le Chasselas grand cru et le Gamay grand cru. On aime bien, aussi, lorsque les vignerons peinent à évoquer leurs cuvées, cette question de pudeur. Blaise, si prolixe lorsqu'il s'agit de célébrer l'alchimie du corps et de l'esprit dans le travail sur la parcelle, est soudainement plus dans la retenue lorsque nous lui demandons de caractériser ses cuvées. Les évidences ne se dévoilent pas toujours. On retiendra qu'il est question, là, de "jolie maîtrise", de maturité, d'équilibres contribuant à des arômes sans trop. Macération en foudres de chêne pour le gamay, mais pas trop, trois semaines, pour ce vin d'été, de fraîcheur, et de plaisir, lorsque les cerises se rêvent griottes. Minéral, mais pas trop non plus, pour le chasselas, à la sucrosité festive.



L'entretien se termine, si tranquillement. On va bientôt laisser Blaise à son travail d'écrivain. L'hectare de vigne souffle volontiers en novembre, après les combats de 2021 : le mildiou, les étourneaux, le gel. On figeait déjà Blaise sur sa terre, mais il avoue, presque comme un péché gourmand, son départ prochain pour la Russie, mais encore la sortie en avril d'un recueil de poésie. Et enfin il nous retient par la manche, pour nous parler, avec tendresse, et passion retenue, puisqu'il est homme de passions retenues, de Renée Molliex, vigneronne culte de Féchy, village voisin, dont l'ouvrage "Chantevin" écrit en 1972, représente un bréviaire pour le jeune viticulteur. À la suite de deux poèmes de Blaise, nous reproduisons volontiers son texte de présentant Renée et ses écrits, où il question d'envie, d'amour, de labeur, d'engagement, de valeurs, et toujours, de terroir.




Chemin de sève, par Blaise Hofmann


En dormance, le sol prend le temps de rêver.

Essentiel invisible à nos vies humaines.

Un glacier se rappelle ses moraines.

Premier jour, premier bois, premier geste de l’an :

lui aussi se sent bien et avance sans bruit,

pense au grain, pense au vin, enfin pense à lui.


Au labeur dès l’aurore, il savoure sa pause,

ne suspend le silence que s’il est autre chose

de plus beau, de plus fort, pour le supplanter.

C’est pourquoi il dira qu’il ne sait trop que dire,

qu’il ne fait que refaire ce qu’a fait son père,

ce qu’a fait avant lui le père de son père.


Les revoit simuler les sarments de leur main :

tous les deux, près du cep, un genou à terre,

pour comprendre comment tracer le chemin,

le chemin pour le chaud, le chemin vers le beau,

pour le feu de la vie, un chemin de sève,

un chemin pour son fils, chemin pour sa fille.


Blaise Hofmann

Poèmes de la Fête, paroles de chants, coédition Campiche-Zoé, 2019




Elle lui parle de vacances.

Il lui parle de croissance.

Elle lui parle de ses peurs.

Il lui parle du gel.

Elle lui parle de grossesse.

Il lui parle de bourgeons.

Elle lui parle de solitude.

Il lui parle de taille.

Elle lui parle d’absence.

Il lui parle encore de taille.

Elle lui parle de l’éducation de Noé.

Il lui parle toujours de taille.

Elle lui parle de larmes de tristesse.

Il lui parle des pleurs de sa vigne.

Elle lui parle de refroidissement, de fièvre, de vomissements.

Il lui parle de mildiou, d’excoriose, de flavescence dorée.

Elle lui parle d’assurance maladie.

Il lui parle d’assurance grêle.

Elle lui parle de beau temps.

Il lui parle de stress hydrique.

Elle lui parle de notes d’école.

Il lui parle de kilos, de quotas.

Elle lui parle de la beauté d’un vol d’étourneaux.

Il va chercher son pistolet et ses pétards.


Blaise Hofmann

Jour de Fête, livre jeunesse, éd. La Joie de Lire, 2019




La racine dans la terre.

La souche de la vigne.

La feuille, la fleur, la grappe…

Qui vous parle d’un monde d’hommes ?


Le métier a changé. Les travaux harassants – remonter la terre au fossoir ou traiter à l’atomiseur à dos – ont la plupart du temps disparu. La taille se fait au sécateur électrique, le cisaillage, à la machine, et les transports, à la chenillette. Le muscle a moins d’importance que des qualités comme l’observation, l’intuition, l’anticipation.


Certains vignerons mangent encore leur fondue sur des assiettes sur lesquelles il est écrit « Femme et vigne, c’est le bonheur ou la guigne ! », mais il est loin, le temps – c’était le 18 décembre 1981 - où un vigneron dénommé Fonjallaz osait dire au micro d’un journaliste de l’émission Visiteurs du soir : « Le vigneron, c’est d’abord sa vigne, ensuite sa cave et après sa femme ! ».


Blaise Hofmann

La Fête, récit, coédition Campiche-Zoé, 2019



Le livre de garde d’une poétesse pleine de tanins, par Blaise Hofmann


Coup d’œil dans le rétroviseur avec Chantevin, un livre écrit en 1972 par Renée Molliex, une vigneronne de Féchy, un ouvrage hors-du-temps que les amoureux de la vigne et du vin se doivent de (re)lire !


« L’amour, c’est bien connu, prête de l’esprit aux filles. Aux femmes mariées, c’est le vin. Il a bien du mérite de donner de l’esprit à celles qui ont prouvé, en se mariant, qu’elles n’en avaient guère. » C’est par ce type de saillies que Renée Molliex vous attrape, et donne envie de partager ce plaisir de lecture.


Oui mais… Un rédacteur en chef n’a d’ordinaire pas de place pour des livres vieux de quarante ans. On veut de l’actu ! Du scoop ! De l’exclusivité ! Et si… Il y a parfois dans le rétroviseur de belles choses qui aident à négocier les virages futurs. D’autant que Chantevin est un ovni. Je m’explique. Il y a généralement ceux qui travaillent la vigne et ceux qui écrivent sur la vigne. Les vignerons vous le diront, ce sont rarement les mêmes. Courber le dos sans rechigner et tordre les phrases sans les abîmer sont deux compétences rarement réunies en une seule personne. Renée Molliex fait exception. Chantevin retrace sa lente conquête du monde viticole selon une écriture dense, tantôt lyrique, tantôt familière, souvent drôle, parfois dramatique, saisissante, capiteuse.


A l’origine, un coup de foudre. Celui d’une jeune citadine savoyarde pour un vigneron de Féchy. Un mariage pour le meilleur : la vue sur le Mont-Blanc, les « cymbales d’or des blés » et une rue bordée de « vieilles maisons mal alignées qui s’épaulent comme des femmes un peu ivres ».


Un mariage pour le pire aussi, car sa présence à Féchy s’avère être « aussi incongrue que celle d’une servante de curé dans un lupanar ». L’intégration prend des airs de purgatoire pour cette Savoyarde pétulante et éprise de liberté.


Il y a d’abord les Vaudois : des hommes méfiants aux paroles ouatées, des femmes en tablier qui chassent les « minons », des enfants qui ignorent l’art de tirer les sonnettes avant de s’enfuir en courant et des chiens qui n’ont pas le droit d’aboyer à la lune.


Il y a ensuite la vigne, celle que l’auteur appelle «marchande d’esclaves », « sorcière », « vieille dame », « atroce négrière », « vieille enquiquineuse », « horrible mégère », celle qui a toujours le dernier mot quand il s’agit de la travailler.


Effeuiller. Deux bois par corne. Pourquoi deux ? Parce que c’est ainsi ! Alors la jeune novice se prête au jeu. Même s’il s’agit du « travail le plus monotone que Dieu ait imposé à ses créatures ». Même si cela équivaut à « chercher des poux dans une tignasse sale ». Même si elle ressemble rapidement à « une écrevisse ébouillantée, avec des bras rougis et un cou écarlate plus grenu que celui d’une dinde ».


Rebioler. Rien à voir avec rigoler ou batifoler. Environ 50000 souches. Et un doute : « si Dieu s’est donné la peine de créer des rebiots, c’est certainement parce qu’ils doivent servir à quelque chose ; on ne doit donc pas les enlever… »

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Attacher. L’art du tord-cou. Rebelote, des brins de paille sur environ... 50000 souches. En compagnie des taons qu’il vaut mieux, pour se faire comprendre ici, appeler « tavans ».


Cisailler. Trois feuilles au-dessus de l’échalas. Des cassins pleins les doigts. Et gare aux dégâts : « le crime de lèse-vigne ne connaît pas de remise ».


Il y a aussi le gel (« je me pris à trembler pour la malade déclinante. Je la soignai, je la dorlotai, comme une vieille mère impotente »), le tam-tam funèbre de la grêle (« faire comme l’autruche : cacher sa tête sous son aile, ne pas voir l’horreur de l’inévitable »), les étourneaux (« les pétards au carbure crépitent à intervalles réguliers. Entre les coups, les effrontés se régalent à la sauvette. Cependant que les rentiers sans vigne pestent contre le bruit »), l’araignée rouge, la noctuelle, l’oïdium, et caetera.


Il y a enfin les vendanges. Mais ne nous réjouissons pas trop vite : c’est la Municipalité et la Fédération des vignerons qui fixent les dates. D’autant que le ciel est capricieux et qu’ils feraient mieux de mettre les chances de leur côté en interrogeant le cor de tante Elise et les rhumatismes de Mme Rochat. Enfin, il y a les maraudeurs auxquels on a envie de lancer ironiquement : « venez plutôt nous donner un coup de main pendant les effeuilles ! ».


Il y a surtout le vin que l’auteur aime sec, « celui qui vous en met plein la bouche et vous laisse une sensation de bien-être comme l’amour ». Celui aussi qui réalise des miracles : « par lui, vous allez dire ce que vous pensez au député du coin. Là, sans scrupule ! Pauvre benêt ! ».


La vigne obéit à des cycles. Et Renée Molliex obéit à la vigne : « l’année vigneronne est une chienne qui se mord la queue en tournant sur elle-même ». Les années passent et elle se familiarise petit à petit avec le cahier des charges viticole, se réconcilie avec la vigne. Même au-delà : « une jouissance éperdue donne à ma solitude une saveur de soleil et de miel ». Et tant pis si pour la vigne elle sacrifie coquetterie, plaisir et vacances : « pour rien au monde, je ne voudrais plus quitter ce village ; ma vie de femme s’y est accomplie ».


Blaise Hofmann



Renée Molliex



Pas de panique : Blaise Hofmann n'est pas encore parti en Russie, vous pouvez le retrouver le 14 décembre, à l'occasion de l'excellent Mille-Feuilles de Frédéric Fredj, au restaurant Le Trumilou (Paris 4ème) et en bonne compagnie, avec Catherine Domain, Marc Alaux et Damien Castera. Réservations : contact@mille-feuilles.fr ou 0608435053




 

En attendant la réouverture de la Coquette à Morges (place Louis Soutter) le 1er juin, vous pourrez déguster et acheter les deux cuvées de Blaise Hofmann à la Cave de la Côte, coopérative merveilleuse et essentielle, qui rassemble les meilleurs crus du terroir.

Cave de la Côte

Tolochenaz, 5 chemin du Saux

(00) 41218045454





(Un immense merci à Blaise et à la Cave de la Côte pour les photographies illustrant la publication)

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