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Jean-Marc Souvira, l'équilibre en toute chose



Au fil des lourdes responsabilités assumées à la PJ, assorties d’affaires parfois éprouvantes, l’ex-commissaire divisionnaire explique avoir préservé son équilibre en se ménageant des moments de détente, tels ceux partagés avec des collègues fins gourmets.


Jean-Marc Souvira

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La porte du vent

(Fleuve Noir)







Avec Jean-Marc Souvira le vin est rare mais toujours fin. Sur les quelque 600 pages de son dernier roman, « La porte du vent », on entrevoit brièvement un Bourgogne, expédié en quelques lignes, mais c’est un Charmes-Chambertin grand cru 2015. Enjeu d’un déjeuner crapuleux, la bouteille accompagne le civet de lièvre dont un gangster régale un policier de la brigade financière. Vin prétexte, réduit à l’état d’accessoire, nectar dont la richesse et l’élégance servent une basse manœuvre de corruption. Mais y avait-il place pour autre chose dans cette ample saga criminelle, qui déroule les destins croisés d’une triade chinoise et d’une mafia israélienne ?


S’inspirant d’affaires récentes, le récit est hyper documenté et détaillé. Sous les pseudonymes des protagonistes, on croit reconnaitre des règlements de comptes qui ont fait des victimes (à Aubervilliers notamment) et des arnaques conclues par de lourdes condamnations (l’escroquerie à la taxe carbone). L’ancien commissaire divisionnaire, passé par plusieurs grandes directions de la PJ (protection des mineurs, traite des êtres humains, délinquance financière), maitrise son sujet. Et avec un CV aussi brillant, conclu à la direction de la coopération internationale (postes en ambassade à Rabat puis à Madrid), on ne se refait pas au point d’en rajouter dans ses écrits, ni de contrarier son éthique.


Toujours en contrôle


En contrôle de son clavier comme il l’était de ses enquêtes, le « grand flic » lâche peu la bride à son imagination. Cette scène de corruption que l’on évoque avec lui, par exemple, le ramène tout de suite au terrain, au vécu, aux règles. Offrir un verre à un indic ? Jamais de la vie. « Quand un policier trouve un possible informateur, il est obligé de l’immatriculer. Au premier contact, il remet ce qu’il lui a dit à son chef de service dans une enveloppe scellée et le bureau qui gère les informateurs lui attribue un pseudonyme sans le connaître. Si les informations sont utiles, une rémunération lui est remise par deux policiers contre sa signature. » En lecteur de polars assidu, on prend note.


Veste classique sur chemise claire, col ouvert, le policier-romancier, qui fut best-seller dès son premier titre, « Le Magicien », en 2010, a accepté notre invitation avec une curiosité enthousiaste. Nous voici donc au Rouge ou Blanc, un bar-cave du quartier Saint-Sulpice qu’il a rejoint à pied, pour cause de grève des transports, depuis son domicile de Montparnasse. On s’en remet au patron des lieux, Marcus, qui nous présente un Bourgogne Rouge 2021 du Domaine Perraud, à La Roche-Vineuse. « Vin simple et pas prétentieux », souligne le jeune caviste en servant nos deux verres. Pouvait-il en être autrement dans cette maison chaleureuse et vouée aux vins natures ?



Initié au Château Simone


Les premières gorgées font remonter des souvenirs d’éducation du palais, d’initiation aux saveurs. La découverte du vin-plaisir, pour notre invité, remonte à ces étés où, pour financer ses études de droit à la fac d’Aix-en-Provence, il devenait serveur chaque week-end dans un restaurant de Vauvenargues : Chez le Garde. « J’y gagnais de quoi payer mes livres et l’essence de ma mère. C’était un petit bâtiment de parpaings et de tôles mais il jouissait d’une réputation extraordinaire. Le patron était garde-chasse, il rapportait des lièvres, des sangliers, des bécasses, et sa fille cuisinait des civets, des pâtés, des champignons. »


Les tenanciers ont changé, l’enseigne vit toujours. « C’est là où j’ai découvert le Tavel et le Château Simone et où j’ai appris à les apprécier. On déjeunait après le service et, quand des clients n’avaient pas fini leur bouteille, on terminait avec le patron celles que la cuisinière n’utilisait pas pour ses marinades… » Les sensations perdurent près de cinquante ans plus tard, entretenues à chaque fois que Jean-Marc Souvira s’échappe de Paris pour retrouver sa terre d’adoption provençale. « Le Château Simone est un très beau domaine sur la route des vins, juste à côté d’Aix, avec des vignes très bien entretenues. C’est le vin qui m’a éduqué, le premier que j’ai goûté qui tenait la route. Ils l’ont travaillé et il me procure toujours le même plaisir. »


Les caves de Château Simone


Dîners de « grands flics »


Bon goût et modération, une ligne directrice dont il n’a pas dévié. D’un poste stratégique à une mission délicate, confronté à des horreurs, le commissaire Souvira s’est toujours ménagé des moments pour respirer un autre air, fût-il chargé de fumée de tabac au sein d’un club informel d’amateurs de cigares. « Quand on lutte pour la protection des mineurs ou contre la traite des êtres humains, on est au service de personnes sans défense, femmes prostituées et enfants abusés, on a une utilité sociale, on fait tout pour neutraliser des salopards ou des détraqués. On avait ces moments entre amis où on s’interdisait de parler boulot. Je ne voulais pas que mes collègues aient en tête ce que j’avais vu. »


Il s’agissait le plus souvent de dîners, car les semaines d’une grande direction de la Police nationale laissent peu de place à la détente. Mais tout de même… « Un collègue sous-directeur à la PJ, un vrai Lyonnais, avec un fameux coup de fourchette, m’a fait découvrir le Condrieu dans un restaurant de la rue d’Anjou. Et c’est notre directeur qui nous a fait aimer le Gewurztraminer vendanges tardives. On était trois à partager les bonnes adresses et les bons moments. On faisait un métier exigeant, où on ne compte pas ses heures, où on voit parfois des choses très dures, c’était important de préserver cette convivialité le soir après nos journées. »


Refus des clichés


Ces parenthèses festives se sont renouvelées au fil de la carrière de scénariste (« Go Fast ») et de romancier (à ce jour, quatre livres et une nouvelle) de Jean-Marc Souvira. Visite des caves et dégustations à Beaune, lors du Festival international du film policier dont il était juré, découverte des vins de Touraine au Domaine de la Chapinière de Florence Veilex, dont il a connu le mari Éric Yung aux Rencontres littéraires de Saint-Chély-d’Apcher… Des occasions qui vont se multiplier maintenant que le métier ne l’accapare plus. « J’écris mon prochain roman et, comme c’est mon activité principale, j’aurai terminé à la fin de l’année. Je vais pouvoir écrire davantage et aller plus souvent en signature et dans les festivals. »


Éric Yung et Florence Veilex © Denis Bomer


Quant au sujet de ce livre à venir, il reste d’une discrétion qui, même en le connaissant à peine, ne surprend pas. Une certitude, on n’y verra pas de flic alcoolique. « Je n’ai jamais aimé les vins ni les alcools très forts. Et le policier qui boit, c’est juste un cliché. Dans la littérature noire, presque tous les policiers ont des tares mais je crois qu’on peut rendre un personnage attachant sans qu’il soit un ivrogne cocaïnomane. » Et pourquoi pas un héros aimant se mettre aux fourneaux, comme dans beaucoup de polars espagnols ou italiens ? « Ecrire une scène où un personnage cuisine, c’est comme une scène d’amour, il ne faut pas se planter. Il ne faut pas que ce soit gratuit, mais que cela fasse partie du personnage. Si je devais le faire, je choisirais un plat que je sais préparer. Quand on cuisine, il y a des gestes, des odeurs que l’on ressent, on ne peut pas juste décrire une recette. »


Après avoir écrit « Le Magicien » tout en dirigeant la brigade des mineurs, puis « La Porte du vent » quand il était à la tête de l’OCRGDF, quelle sera l’inspiration d’un Jean-Marc Souvira déchargé de ses responsabilités policières, libéré de ses lourds dossiers criminels, juste pressé par ses allers-et-retours entre Paris, Aix et Le Touquet ? Réponse dans un an environ. Et peut-être ce nouveau livre sera-t-il le prétexte de déguster avec lui un Château Simone ?


Philippe Lemaire


« La Porte du Vent », Jean-Marc Souvira, Fleuve éditions, 592 pages, 22,90€






 


Marcus et son oasis de vins nature


La raison sociale se voyait mal et les clients ne la mémorisaient pas. Il a donc ajouté son nom, en lettres lumineuses vertes, en plein milieu de la vitrine : Chez Marcus. Plus facile à glisser quand on lance une invitation aux amis. A son ouverture, il y a cinq ans, Rouge ou Blanc était juste une cave à vins. Passée la longue parenthèse du Covid, il y a deux ans, il en a fait aussi un bar. « Je propose 120 références visibles mais j’en ai 120 autres en vieillissement car à Paris, quand on reçoit tous des vins rares, ils partent tout de suite », nous explique ce caviste trentenaire à l’œil souriant.


Marcus s’est lancé dans le commerce du vin avec la foi du débutant. « Le déclic a été le profond ennui, quasi pathologique, que m’inspirait mon travail pour une banque suisse de Genève. J’ai eu envie d’allier une passion avec une profession et une ouverture, oser quelque chose. » A l’époque, il avait encore un pied dans la finance et un autre déjà dans les Caves de Reuilly, créées avec deux amis et associés. « J’ai appris le vin à travers eux, puis j’ai continué sans eux. »


Dans ce coin de Paris où ce type de commerce reste rare, l’endroit s’est constitué une clientèle qui s’équilibre entre touristes, gens de passage et habitués. Un lieu idéal pour un « after », mais pas seulement, baigné par une lumière douce et une musique d’ambiance cool. « Je compose ma carte des vins sans parti pris. Je propose essentiellement des vins nature mais il faut qu’ils soient bons, je ne suis pas un ayatollah. Je pardonne bien sûr les petits défauts mais je vends ce que je respecte, et il y a des vins nature que je n’aime pas. »


La carte est conçue pour intéresser une large clientèle de curieux. « On a passé le pic de l’effet de mode du vin nature, on s’aperçoit qu’il est séculaire, que ceux qui le font ne sont pas des bobos mais des paysans, et que ceux qui l’apprécient ont tous les âges », conclut Marcus.


Rouge ou Blanc. Chez Marcus. 3, rue Saint Sulpice, Paris 6e. Ouvert du mardi au samedi de 17h à 23h. Tél. 01 42 02 80 11





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