Pascal Fioretto et Jean-Paul Carminati se sont joyeusement retrouvés à Annecy, à l'invitation de René Vuillermoz, leur entremetteur, pour présenter en "avant-première mondiale" (!) le texte "Mélatonine" de Pascal mis en scène par Jean-Paul à la Scène Nationale de Bonlieu.
Pascal Fioretto
Sa dernière parution :
L'anomalie du train 006 (Herodios)
Jean-Paul Carminati
Sa dernière parution :
Guide pratique de lecture à voix haute (Éditions du Faubourg)
À Onzième Sens, nous procédons deux fois par mois à une séance d'assemblage - c'est ainsi que nous la nommons - pour accorder les textes et les visuels. Notre dernière session de l'année a été bénie, puisqu'ici il est affaire de tout ce pourquoi nous militons : l'amitié, la convivialité, la générosité, le lien entre celles et ceux qui écrivent, celles et ceux qui créent le vin, celles et ceux qui font vivre la littérature, et celles et ceux qui lisent, et surtout qui lisent en dégustant du blanc, du rouge, du champagne, ou tout ce que vous préfèrerez. Le jeudi 18 novembre, René Vuillermoz, à la recherche de ses amitiés qui ne se perdent jamais, avait invité à Annecy, dans le cadre d'"Histoire d'en Parler", Pascal Fioretto et Jean-Paul Carminati. Jean-Paul mettant en scène et lisant le texte de Pascal, "Mélatonine" (Robert Laffont / 2019). Il est bien question d'assemblage dans cette histoire. On connaissait déjà celui de Pascal avec Hervé Le Tellier, ce dernier formidablement pastiché dans "L'anomalie du train 006". Voici l'assemblage de novembre 2021 Fioretto (un cépage qui se lie si facilement avec d'autres) - Carminati. Mais laissons Jean-Paul nous raconter la genèse de ce cru...
Mauvais plant, par Jean-Paul Carminati
J’ai rencontré René Vuillermoz chez Pierre Jourde il y a une bonne dizaine d’années. Il y avait du rouge, je crois. C’est important parce que cette première fois que j’ai rencontré René, il m’a juré de rendre possible mon projet de lire Le Désert des Tartares en montagne et cela a pu se faire, bien après, en septembre 2019, à 1535 mètres d’altitude. Là, il y avait aussi du rouge, et du génépi et de la chartreuse.
Pierre Jourde
Un peu avant cela, au Dindon en Laisse, à Paris dans le Marais, chez Michel, René m’avait présenté Pascal Fioretto. Enfin ça ne s’est pas passé comme ça bien sûr. En réalité, il y avait un type à table devant un verre, de blanc certainement, avec d’autres que je connaissais plus ou moins, on a parlé et il m’a paru sympathique. J’ai lu quelques-uns de ses livres, écrits au scalpel, d’une grande précision socio-psycho-patho-humoritico-logique. On a fait quelques soirées lecture avec lui et des extraits de ses textes, et ça passait très bien. Je guettais donc sa production, et quand il a sorti Mélatonine, j’ai sauté dessus et ai fait une adaptation de 1h15 pour la lecture en scène Un pastiche de Houellebecq, je ne pouvais pas laisser passer sans réagir. J’ai coupé dans le pastiche, chose que Pascal ne pouvait pas faire car un auteur qui se coupe lui-même se coupe de lui-même.
La Première, je l’ai faite en appartement chez Pierre Jourde début 2020. Il y avait Pascal bien sûr, Haudiquet, Le Tellier, Delphine Peras de l’Express, mon associé Bernhard Engel et d’autres curieux. Ils ont vu Klouellebecq, pari gagné. Ensuite Klouellebecq a passé à travers le Covid pour ressurgir dans l’appartement de Le Tellier fin 2020 la veille du n-ième confinement. Enfin, grâce à René, il s’est montré à la Scène nationale d'Annecy le 18 novembre 2021. Il semble que le public – René compris - l’a apprécié en pouffant sous les masques. Ensuite, au restaurant, il y a eu du rouge, même si Pascal, quelques heures avant à la Java des Flacons s’était rincé le gosier angineux – pas moi, je répétais en loge avec mes antibiotiques aussi – je travaille, moi.
Vous l’aurez compris : Klouellebecq envisage de faire le tour de France, à bons entendeurs de toutes programmations (Festivals, salles de tous poils, appartements), mais aussi : « du rouge », « du blanc » : quelle pauvreté. J’avais pourtant prévenu Vincent. Il a insisté, donc voici : je ne vais pas pouvoir disserter sur les vertus du Château Bidule face au Grand Cru de la Borne. Je suis mauvais buveur. Je suis allergique à l’alcool et nul en appellations. Le premier verre excite diablement ma verve naturelle (avec un « v » »), le deuxième la lance indéfiniment sur les grivoiseries de haute volée lacaniennes, et peu après le troisième je m’écroule sur la table dans une torpeur pâteuse. Le lendemain, la pharyngite chronique reprend ses droits. C’est l’atavisme familial : on ne m’a pas transmis les gènes qu’il faut, et je suis un peu comme un Japonais face à la molécule d’alcool : asian flush des voies pharyngées, croyez-moi, tu parles d’un grand cru !
Heureusement, naturellement loquace et plutôt déshinibé, je n’ai pas besoin d’alcool pour parler en société. C’est ainsi que je ne ressens pas le manque, qui chez certains n’est pas seulement une question physiologique, mais sociale : sujet tabou n’est-ce pas ?
Il y a plus de quinze ans, j’ai bien découvert le coteau du Layon dans le train du cholestérol, le fameux train de la foire de Brive. Ce train, je ne l’ai pris qu’une fois, mais je lui dois cette découverte qui a rempli périodiquement ma cave par la suite (dois-je préciser que ma cave n’est évidemment pas à bonne température ?). C’est sucré, c’est un vin pour enfants, comme les monbazillac, jurançon et muscat de tous pépins, que je sirote tranquillement de temps à autre avec une extrême modération.
Parfois, quand mes propres conditions physiologiques sont optimales – exit pollution et pharyngite, je parviens à apprécier de bons vins, que d’autres me servent. J’ai, chez Jourde, (tiens, le revoilà, et auquel je n’offre par principe jamais de bouteille de peur de mourir de honte) des souvenirs de velours, de petit lait, de parfums exquis. À la réflexion, ne resté-je pas ouvert à toutes propositions ?
Jean-Paul Carminati
Photo Mariusz Kubik
Le nez de Onzième Sens
C'est tout Jean-Paul. Un esprit primesautier, le champion hors catégorie de l'auto-dérision (toutefois grosse compét' internationale avec l'excellent Olivier Chapuis), grand prof d'éloquence, romancier poétique et drôlatique, avocat pénaliste (aussi), qui a également oeuvré à France Inter pour ses chroniques judiciaires "À la barre". Pas que primesautier. Un pur esprit, donc. Qui s'accorde avec une bande de copains terribles, férocement libres : Fioretto, Jourde, Le Tellier, Engel. L'écrivain-poète-dramaturge a commis une quinzaine de textes, allant de son premier roman déluré "La concordance des dents" (prix du Premier Roman de Chambéry en 2002 / Points Seuil) au recueil métaphorique "Dictionnaire imaginaire des stations de métro" (Castor Astral / 2003), en passant par mégarde à un livre de "droit comique", "Le droit n'est pas si vil" (Litec / 2004) et son "Guide pratique de lecture à haute voix" (co-écrit avec Bernhard Engel, Éditions du Faubourg / 2020)... On va s'arrêter là, sinon l'oeuvre de Jean-Paul monopolisera la publication. C'est satanément éclectique. Les génies, c'est bien ça : ça touche à tout toujours en se marrant. Évidemment, c'est une façade de sourires, et de légèreté, qui cache un garçon bien entendu préoccupé par le temps qui passe, l'ingratitude du quotidien, et la dislocation de ce qui fait sens entre nous tous : la parole et les mots. À ce titre, Jean-Paul est un résistant. Dès qu'il le peut, il se met au service de la République des Lettres. C'est lui qui rassemble les textes des auteurs invités au festival du polar francophone, "Les Pontons Flingueurs", pour en publier trois remarquables recueils de nouvelles.
Son activité phare, ses cours d'éloquence, atteste de son amour des mots, cette fois déclamés. Son atelier d'art oratoire est en effet le plus couru de Paris. Ne surtout pas rater le spectacle donné en fin d'année par ses étudiants. Celui de 2016, devant Leïla Slimani, tout juste Goncourt, et Marie NDiaye, avait été éblouissant. Estomaqués, René Vuillermoz et votre serviteur avions eu besoin d'un robuste cahors "Château du Cèdre" au bistrot "La petite Périgourdine", pour nous remettre tardivement de tant de virtuosité.
Jean-Paul et Vincent Crouzet à Annecy
Les génies peuvent s'éviter longtemps, même pour toujours, mais parfois se trouvent. Jean-Paul nous l'a écrit dans son texte : René Vuillermoz, en éternel passeur d'amitiés, l'a lié à Pascal Fioretto. Et ça s'est fait, comme souvent avec René, autour d'un verre, si simplement. Depuis, Jean-Paul a adapté "Mélatonine" pour la scène, les amenant à Annecy ce 18 novembre, où l'un et l'autre rejoignent sous antibiotiques, avec une angine de saison. Mais Pascal Fioretto n'est pas garçon à se laisser abattre pour si peu. Le gué de ce mois de novembre représente pourtant la fin d'un long marathon pour promouvoir "L'anomalie du train 006" (Herodios), pastiche du Goncourt 2020, "L'anomalie" d'Hervé Le Tellier. Pasticher Houellebecq, Le Tellier, Despentes ou Carrère signifie s'élever à leur meilleur niveau (Fioretto a aussi pastiché d'autres auteurs moins exigeants, et - mais rien d'étonnant - ce sont les moins bons qui lui en veulent). L'art du pastiche, c'est donc l'art du mieux. Le co-auteur des textes de Laurent Gerra est devenu le maître de cette discipline. Avec "Mélatonine" (Robert Laffont), Pascal Fioretto se glissait dans la peau de Marcel Klouellebecq, dans "L'anomalie du train 006", il nous embarque dans le redoutable train des écrivains qui relie Saint-Germain-des-Prés à Brive-la-Gaillarde. Casse-croûtes roboratifs à bord, et somme d'egos sur rails. Vous avez toujours rêvé de voyager avec Sylvain Tesson, Virginie Despentes ou Joël Dicker ? Prenez un billet proposé par le guichetier Fioretto, vous ne regretterez pas le voyage. Pour ce dernier opus, Pascal a fait confiance à Philippine Cruse et sa très belle nouvelle maison d'édition suisse, Herodios, au catalogue de première classe (confort), et dont la marque de fabrique est déjà le succès.
Lorsqu'on est invité par René Vuillermoz et "Histoire d'en Parler", la première étape avant la rencontre ou le spectacle littéraire, c'est la "station" Java des Flacons, tenue par un chef de gare hors pair, l'ancien sommelier de Marc Veyrat et caviste phénomène, Bruno Bozzer. C'est toujours ce bon moment lorsqu'on pénètre la salle des pas éperdus de la Java, si chaleureuse, ce songe pour hédonistes non repentis. Pas de bol pour Jean-Paul Carminati, déjà au boulot sur la scène du théâtre pour régler les derniers détails. Et Pascal Fioretto a préféré se désolidariser (on le comprend et on soutient son choix !)... Il raconte :
"Comme j’avais quelque peu abusé la veille d’un vin blanc traitre, René et moi-même avons décidé d’un commun accord que ce serait, cette fois, une pause champagne que nous allions nous accorder à la Java des Flacons. Bien installés à quelques centimètres d’une douzaine de rarissimes bouteilles de champagne de Jacques Selosse, gainées de paille, nous avons suivi les conseils de Bruno qui nous a fait découvrir, avec son enthousiame coutumier, quelques "bulles féminines" (sic) d'un extra brut que l’on doit à Emmanuelle Herblin, ainsi que la cuvée Charles de Gaulle de Drappier. Ensuite, nous avons rejoint la scène nationale où le maestro Carminati, au mieux de sa forme nous a gratifié d’une lecture de « Mélatonine » euphorisante, un exploit pour du Klouellebecq...."
Bruno, René et Pascal à la Java
Pendant que Carminati, la gorge en feu, cet intermittent du spectacle sans la moindre relâche, bosse avec les techniciens de la Scène Nationale, Fioretto attaque avec René et Bruno la cuvée "Bulle Féminine" d'Emmanuelle Herblin, aérienne, d'une minéralité qui sied à novembre, et goûte à la "Charles de Gaulle" de chez Drappier, dans cet esprit de résistance qui caractérise le Stéphanois Fioretto. Pascal et René se sont certainement raconté l'amitié, et la pudeur, à cet instant-là, avant de retrouver la Scène Nationale, et le trépidant Jean-Paul Carminati, alias Marcel Klouellbecq ce soir (quel numéro !) sous l'égide du directeur du théâtre, Salvatore Garcia, encore une histoire de fidélité.
Jean-Paul, sur scène à Bonlieu
C'est plutôt simple, la vie, comme ça, les accords heureux, Fioretto-Carminati-Vuillermoz, avec ou sans l'euphorie des champagnes Emmanuelle Herblin et Drappier (pauvre Jean-Paul...). Combien nous sommes heureux de terminer ainsi l'année, à Onzième Sens, pleinement sous le signe des copains, de l'esprit, et de bulles irrésistibles...
On avait déjà apprécié un mois plus tôt avec Simonetta Greggio à la Java des Flacons le joli champagne d'Emmanuelle Herblin, d'agrumes et de fruits blancs, on réclamera en 2022 de découvrir la cuvée "Charles de Gaulle" de chez Drappier, d'une heureuse complexité où, paraît-il, la muscade s'ajoute l'amande et à l'aubépine. Bruno Bozzer a toujours le chic pour assortir les belles maisons...
Boire un verre à...
La Java des Flacons
49 avenue du Petit-Port • 74940 Annecy • 0450233139
Bruno Bozzer et Simonetta Greggio dégustent la cuvée Bulle féminine
Cuvée Charles de Gaulle de chez Drappier
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