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Agnès de Clairville et Isabelle Perraud, en sororité à la Bellevilloise

Dernière mise à jour : 31 oct. 2023



Au festival "Sous les Pavés la Vigne" à la Bellevilloise les 13 et 15 mai derniers, Agnès de Clairville, qui publie son premier roman "La poupée qui fait oui", a fait la rencontre d'Isabelle Perraud, vigneronne et militante féministe...



Agnès de Clairville © Melania Avanzato

Premier roman :

La poupée qui fait oui

(Editions Harper Collins)







Le nez de Onzième Sens


Fin avril 2023, déjà l'été au "Printemps du polar" de l'Estaque, au nord de Marseille. L'Estaque, c'est Guédiguian, sa joyeuse bande, un port et une promenade de bord de mer non apprétés, un village lumineux et bancal de maisons de pécheurs pas encore totalement gentrifié. Les quartiers Nord sont à deux pas (mais l'Estaque est dans les quartiers Nord !), et le week-end, l'Estaque, c'est popu et festif. On descend en famille pour déguster dans la bonne humeur des chichis, des panisses et des glaces ultra-chimiques de toutes couleurs acidulées. Les enfants sont heureux, les parents, aussi. Bref, c'est formidable, et surtout unique. Et puis quelques passionnés, ont eu la bonne idée de créer un festival du polar dans cette ville qui fait école en la matière. Patrick Coulomb, Bernard Vitiello, et Bruno Richard, avec une belle équipe de bénévoles, ont réuni une trentaine d'autrices et d'auteurs à la Villa Mistral, l'une de ces fières demeures qui font la splendeur surannée de l'Estaque. Sous l'ombre d'un auvent, on découvre le sourire d'Agnès de Clairville, qui présente son premier roman, "La poupée qui fait oui" (Harper Collins). Regard transperçant, disponible pour ses lectrices et lecteurs, Agnès profite pleinement de l'enthousiasme des "débuts".



Un salon du livre, ce sont des échanges, des rencontres, une confrontation avec celles et ceux qui poseront un premier oeil sur nos lignes, nos mots. Et puis évidemment, un festival littéraire, c'est aussi les pots entre copains, cette fois en bord de promenade. On fait l'ouverture d'une terrasse (c'est un peu aléatoire), où la majorité opte pour le pastis. Pour les besoins de la cause (Onzième Sens), Agnès opte pour un verre de vin rouge, dont on ne se souvient plus ce que c'était d'ailleurs, mais c'était surtout pour la photo. Ensuite, on doit trouver un sujet. Pour Agnès, cela ne fait aucun doute : cette militante s'engage contre les violences faites aux femmes, tout en laissant la part du doute aux hommes, et en leur témoignant de la tendresse. "La poupée qui fait oui" est un manifeste de liberté, une prévention, un geste de bienveillance pour les générations qui viennent. On est toujours méfiant à l'égard des bandeaux, mais on adore celui de ce premier roman : "Ce livre, c'est celui que j'aurais aimé offrir à ma fille le jour de ces seize ans". Carte blanche donc à Agnès que l'on retrouve trois semaines plus tard à l'inégalé "Sous les pavés la vigne", à la Bellevilloise, ce salon du vin nature où écrivains et vignerons correspondent dans un esprit de rare partage, où Agnès rencontre Isabelle Perraud, vigneronne, et fondatrice de l'association "Paye ton pinard". Histoire d'une sororité...


Vincent Crouzet





Ce dimanche de mai à la Bellevilloise, un même combat...


Ce dimanche de mai, je découvre La Bellevilloise en même temps que le salon « Sous les pavés la vigne », accueil détendu, espace post-industriel envahi de stands aux affiches cool… c’est que nous ne sommes pas dans un salon de vin traditionnel. Les vignerons nature sont souvent alternatifs, issus d’autres milieux. C’est le cas d’Isabelle Perraud, la toute vive fondatrice de « Paye ton Pinard », association et espace de parole autour des violences sexuelles et sexistes en milieu viticole, que je suis venue rencontrer.


Un café en main (il est encore tôt pour la dégustation), la conversation s’engage naturellement, dans la continuation de notre échange téléphonique d’il y a quelques jours. La littéraire, amoureuse adolescente de celui qui deviendra son mari, découvre la viticulture en même temps que sa vie d’adulte. Moi, la bourgeoise urbaine, entre dans le monde agricole au même âge, par mes études et un premier stage. Toutes deux déjà féministes, déjà convaincue qu’une femme fait ce qu’elle veut de sa vie.


Des années après, entre 2016 et 2020, toutes deux, nous effectuons une prise de conscience sur les violences sexuelles. Un cheminement dans l’air du temps : #metoo est apparu dans le sillage de l’affaire Weinstein, mais les affaires Polanski en 2009 et DSK en 2011 avaient déjà été l’occasion pour les féministes françaises de faire entendre leur révolte. Néanmoins, à l’instar de Simone Veil qui s’est engagée pour témoigner toute sa vie contre l’innommable, nos traumatismes personnels et familiaux sont un moteur puissant pour décider, à un moment donné, que l’on ne veut plus que « ça » se reproduise. Isabelle, pensant au futur de ses trois petits-enfants, se documente, contacte des spécialistes des violences sexuelles et du traumatisme qui en résulte. De mon côté, je prends la plume d’abord pour mes trois filles qui entrent dans l’adolescence, rédige enfin ce roman autour duquel je tourne depuis quelques années : « La Poupée qui fait oui ».



Lorsque j’y mets le point final, à l’automne 2020, le compte Instagram « Paye ton Pinard » vient d’être créé par Isabelle, au début dans l’anonymat. Les témoignages affluent en nombre. Stages, salons, instituts de formation… les violences sexistes et sexuelles semblent partout, le compte devient le premier espace de libération de la parole dans ce monde vinicole. Un soulagement, un énorme appel d’air pour ces femmes qui ne parlent pas. Car dans le monde du vin traditionnel, comme dans la famille bourgeoise d’Arielle, l’héroïne de « La Poupée qui fait oui », la parole est bloquée, ne circule pas, d’autant que les domaines sont souvent des affaires de « grandes familles ». Quand au monde du vin naturel, il se vit comme une bulle soixante-huitarde, décontractée, où la sexualité est libérée, transgressive même, en tout cas pour les hommes. Ce que l’on retrouve également dans l’école d’ingénieurs où la jeune Arielle commence ses études. Et c’est donc dans ce milieu alternatif du vin nature que la parole se libère en premier, et que le déni des agresseurs et de leurs protecteurs est le plus prégnant.


A l’automne 2022, « La Poupée qui fait oui » est publiée, l’association « Paye ton Pinard », dont Isabelle assume publiquement la direction, voit le jour. C’est l’occasion, pour l’une comme pour l’autre, de plonger dans le bain de l’exposition mais également des rencontres avec des victimes, de la prévention auprès de jeunes. Les associations de lutte contre les VSS en milieu étudiant, en commençant par Sciences Po, sont jeunes et touchent encore peu le monde agricole et viticole. Isabelle est attaquée en diffamation pour avoir évoqué treize témoignages de violences sexuelles concernant un même agresseur. Comme dans d’autres milieux, le procès en diffamation est une procédure-bâillon qui dissuade les victimes de parler, de déposer plainte. Tout comme le classement sans suite, la non-transmission d’une plainte, lorsqu’une victime, malgré le délai de prescription résultant de sa sidération, souhaite protéger d’autres victimes potentielles.


Isabelle, Agnès, Silène


Aujourd’hui, les rencontres autour de « La Poupée qui fait oui » en milieu lycéen et étudiant, les activités de l’association « Paye ton pinard » auprès des établissements comme sur le compte Instagram, montrent que la parole peine à se libérer dans ces mondes agricoles et viticoles, enseignement compris. Le déni des institutions rejoint la poursuite de l’utilisation de graphismes sexistes dans les publicités ou sur les étiquettes. Un vent rafraichissant souffle d’ailleurs sur ce monde, grâce entre autres à la graphiste Silène Audibert « Les Fols de Silène », autrice des affiches de « Paye ton pinard » comme des étiquettes du Côtes de la Molière. Notamment le délicieux « Balance ta bulle », pétillant naturel 100% gamay et féministe dont l’étiquette revisite l’enlèvement des Sabines. Que nous dégustons bien sûr sans attendre plus longtemps !


Agnès de Clairville



 


Isabelle et Bruno Perraud exploitent le domaine des Côtes de la Molière dans le Beaujolais. En 1999, à la suite d'une intoxication de Bruno à l'antifongique, ils décident de se lancer dans le bio dans un vignoble où ils font figure de précurseurs. Leur histoire de vignerons est affaire de résilience et d'engagements. Ils produisent vins bios et nature à partir de leurs parcelles de gamay, sauvignon et chardonnay.


Domaine des Côtes de la Molière / Le Bourg / 69820 Vauxrenard / O474699232




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