Yan Lespoux a profité d'un dimanche radieux pour découvrir une vallée providentielle sous l'ombre du Pic Saint Loup et dans la lumière occitane, au Domaine de l'Hortus
Yan Lespoux
Recueil de nouvelles :
Presqu'îles
(Agullo Éditions)
© Matthieu Prier
Le nez de Onzième Sens
C'est un 22 janvier, mais comme un premier jour de printemps, versant sud : ce dimanche matin, un soleil languedocien en hiver gagne petit à petit les terrasses du Domaine de l'Hortus. À moins de trente kilomètres de Montpellier, sous les crêtes du Pic Saint Loup, une ombre élégante capture encore garrigue, bois de chênes verts et parcelles de l'appellation éponyme. Jour de rendez-vous : se retrouvent cette matinée une quinzaine de vignerons du groupement Vignobles & Signatures, accueillis dans un domaine ami, celui de l'Hortus, et reçus avec chaleur, et plaisir, par Jean Orliac et ses fils, Martin, Yves et François. Nous sommes à la veille de l'ouverture du salon Millésime Bio à Montpellier, et au Domaine de l'Hortus se déroule ce jour une dégustation pour les clients de Vignobles & Signatures, qui ont le privilège de goûter les vins des dix-huit domaines dans l'écrin proposé par la famille Orliac. L'équipe d'Onzième Sens est invitée, avant la dégustation, à la table de Jean et de ses fils, nous permettant de faire la connaissance des femmes et hommes qui font les vins de ce groupement d'excellence. Nous arrivons, Valentine, Matthieu, et moi, un peu en "étrangers", mais nous sommes tout de suite enveloppés par la bienveillance et le sourire de Jean, et par la joie de vivre communicative de Caroline Malbois, la sécrétaire-générale de V&S. On casse-croûte gaiement, en attendant l'arrivée de Yan Lespoux, qui ne tarde pas, accompagné de Caroline Thomas, la co-organisatrice (avec Yan) de Lire dans les Vignes, le festival liant vin et littérature à Couffoulens, dans l'Aude.
Yan est l'auteur du très remarqué "Presqu'ïles", paru aux éditions Agullo, qui déroule trente-trois nouvelles ciselées au coeur du Médoc, mais du Médoc non viticole, celui des landes, et des forêts, d'un littoral océanique tanné d'hivers et d'étés de moins en moins tempérés. Chaque texte se révèle petit bijou, d'amertume, de tendresse mais aussi d'auto-dérision et d'humour (presque britannique). En septembre, toujours chez Agullo, Yan publiera son très attendu premier roman, qui sans en dévoiler le thème, nous conduira sur les océans à une époque aventureuse et circonvolutionnaire... Nous sommes plutôt fier, qu'avec Caroline, Yan ait fait la route depuis Carcassonne jusqu'au domaine de l'Hortus.
Caroline et Yan © Matthieu Prier
Nous nous retrouvons dans cette lumière laiteuse de la mi-journée, au coeur de cette vallée bénie. Nous partageons ensemble cette envie de conjuguer le vin, les livres, les écrivains, les vignerons. Nous n'avons donc pas besoin, entre nous, de trop de mots. Caroline Malbois et Vignobles & Signatures participent à cet esprit, V&S étant partenaire historique du Prix Blù Jean-Marc Roberts. Pour sceller notre rencontre, Caroline nous accueille dans le chai avec une coupe de champagne Drappier.
© Matthieu Prier
Mais très vite, Jean nous propose de grimper sur le versant Sud, sous les parois calcaires de l'Hortus, cette hauteur qui a donné son nom au domaine, en aval. Et là-haut, dans ce soleil qui hésite encore entre les saisons, Jean nous évoque son terroir, pas si simple à humaniser. Avec passion, mais dans la sérénité d'un homme lié à ce sol, ces cônes d'éboulis qu'il a transformé, en famille, en vignes. Tout autour de nous, chaque détail est soigné, les murets en parfait état, le sous-bois entretenu. On ressent la charge du travail, allégée par une convention non écrite, entre une quête de civilisation douce et ce massif pas si docile, dans une recherche constante de la beauté. Jean, Martin, François, Yves, hier accompagnés de Marie-Thérèse et de Marie, apportent leur contribution quotidienne à la splendeur discrète de cette vallée. La main de l'homme, son activité, doivent s'adapter aux exigences du lieu, naturellement s'y couler. C'est dans cet esprit que se sont élevés des chais de verre et de bois mariés aux chênes, et aux genêts.
© Matthieu Prier
Jean et Marie-Thérèse ont su créer plus qu'un vignoble : un lieu de vie, de solidarité, et aussi de mots. Chez Jean, en observant la bibliothèque, il est question de culture, de littérature, de partages. On resterait des heures avec ce conteur-né nous parler d'une voix chaude et profonde de l'Hortus, de la providence du climat local, bénéficiant des entrées maritimes et d'un vent du Nord sec, de la richesse subtile de ce sol d'éboulis, de l'ombre du versant nord du Pic Saint Loup et de la lumière des adrets. Mais il nous faut bientôt redescendre, pour un autre plaisir, la dégustation des vins de l'Hortus, et ceux des dix-sept autres producteurs présents cet après-midi. Pourtant, des semaines plus tard, on est toujours là-haut, avec Jean Orliac, dans ces heures suspendues, conservant ce moment d'humanité, et d'esprit. Combien, parfois, la nature mérite de ceux qui la chérissent...
Vincent Crouzet
Jean Orliac et Yan © Matthieu Prier
Nous avons posé cinq questions à Yan Lespoux, autour du vin, de la mémoire, et des émotions...
Un premier souvenir lié au vin ?
Je crois bien que mon premier souvenir lié au vin est celui-ci : mon père et des collègues, dans le cellier de la caserne des pompiers de Lacanau, en train de remplir des bouteilles, de les boucher et d’y mettre de la cire. Je devais être au tout début de l’école primaire et je me souviens très bien de l’appellation du vin : c’était du pomerol. Je ne sais pas pourquoi ce nom en particulier est resté gravé, et la première fois que j’ai goûté du pomerol, j’ai repensé à ce moment. À ces grands types moustachus – j’ai l’impression que dans les années 80 tous les pompiers étaient moustachus – en train de faire la chaîne pour embouteiller ce vin tout en rigolant et en cassant la croûte. Je ne sais pas… c’était chouette.
L'historien que tu es trouve-t-il au vin une dimension mémorielle ?
Mémorielle au sens historique, je ne sais pas. Je me suis peu intéressé à l’histoire du vin, à vrai dire. Au sens de ma mémoire personnelle, oui. Un bon vin, c’est comme un bon livre. On se souvient du moment et du lieu où on l’a bu. Avec un petit avantage sur le livre : on se souvient aussi avec qui. Le vin, c’est chargé de souvenirs, généralement bons, en plus. J’en ai des tas. Peut-être que je bois trop de vin ou que je passe trop de temps avec des gens qui en boivent aussi. Mais, pour être sérieux, et sans qu’il soit question de se souler, il est vrai que ces moments autour du vin sont précieux. En me rappelant de certains d’entre eux, j’ai le goût du vin en bouche, le souvenir de la conversation et des visages de chacun. Je ne sais pas s’il y a beaucoup d’autres produits qui ont ce pouvoir. J’adore le fromage, aussi, mais ça ne me fait pas cet effet, pourtant !
© Matthieu Prier
Découvrir un vin, c'est aussi explorer un territoire, provoquer une rencontre... Comment s'est passée cette excursion au Domaine de l'Hortus ?
Ah ! C’était fabuleux ! Merci pour cette invitation. Voilà encore une chose que procure le vin quand on est curieux de ce produit : découvrir des lieux et des gens. Le terroir de l’Hortus est vraiment fascinant. Ce sont des lieux d’une grande beauté, à la fois rudes et accueillants. Et puis il y a la famille Orliac et Jean, qui a fondé le domaine et peut vous parler des heures de chaque parcelle d’une manière à la fois très technique, pédagogique et sensitive. Il vous fait aimer son vin avant même que vous l’ayez goûté, parce que déjà vous l’aimez lui. Et quand vous l’avez goûté… vous n’êtes pas déçu.
© Matthieu Prier
"Presqu'îles" se déroule dans le Médoc. Quel œil portes-tu sur la production viticole dans le Bordelais, et le Médoc en particulier ?
Presqu’îles, c’est le Médoc qui n’est pas viticole, loin des châteaux avec des gens qui boivent plutôt du pastis. Mais il est vrai que l’on ne peut pas grandir là sans avoir une idée de ce qu’est le Médoc viticole. D’autant plus que le lycée du secteur est à Pauillac. Pour moi, le vin médoquin, ça a longtemps été le « vin vieux », comme on disait. Ce vin qui devait vieillir longtemps pour être buvable et que l’on conservait de manière parfois baroque. J’en ai vu enterré dans la terre battue d’une grange. Je reste dubitatif vis-à-vis de cette méthode de vieillissement. Et donc, quand on a grandi là à l’époque de la grande hégémonie des vins du Bordelais et de Bourgogne, on a une image très partielle et déformée de ce qu’est le vin. Mon palais a été éduqué au médoc et au saint-émilion essentiellement, sans d’ailleurs que je me pose beaucoup de questions sur la manière dont il était fait. Je me posais plutôt celle de son prix chaque année plus prohibitif dès que l’on avait affaire à des crus classés. Et puis je suis parti vivre dans l’Aude avec mon médoc dans mes bagages. Pour moi, le vin de l’Aude, c’était la bouteille à 2,50 francs que je vendais dans la supérette où je faisais la saison. La bouteille que prenaient les gourmets qui ne voulait pas s’abaisser à prendre celle, moins chère encore, de mélange de vins de la Communauté européenne. Et puis, peu à peu, j’ai découvert tout un tas de producteurs, souvent de jeunes vignerons qui faisaient des choses étonnantes. Il a fallu que je refasse complètement l’éducation de mon palais. Et par rebond ça m’a amené à voir d’un autre œil la production médoquine. Je ne vais pas m’attarder sur les grands crus classés presque inaccessibles au commun des mortels, ni sur le fait que le système qui prévaut dans les grandes propriétés en Bordelais est souvent fondé sur l’exploitation très dure d’ouvriers agricoles pas très bien traités. Ce que je vois, par contre, maintenant, c’est tout un tas de petites exploitations qui osent changer de manière de faire le vin et de le boire. Qui proposent des choses nouvelles, des vins frais que l’on peut boire jeunes, des étiquettes audacieuses dans un milieu très traditionnel. Il se passe quelque chose, je crois, depuis quelques années, de vraiment bien.
Ta dernière grande émotion, verre à la main ?
Je crois bien que c’était il y a quelques mois déjà, lors de l’inauguration du chai de Laetitia Teisseire, à Rouffiac-d’Aude. Laetitia s’est lancée dans le vin en 2016. Avant, elle était infirmière. Et elle a tout de suite sorti des cuvées formidables. En juin, donc, elle a inauguré son chai tout neuf sur le domaine du Clos Teisseire et y a invité ses clients et amis. Nous sommes arrivés au moment où le soleil se couchait, le temps était un peu gris, mais idéal donc, pour avoir quelques belles lumières de crépuscule, et on a bu un verre de son Vue sur ciel en regardant ce spectacle avec, face à nous, les Pyrénées. Le vin n’est jamais aussi bon que dans ces moments où le temps reste un peu suspendu.
Laetitia Teisseire dans son vignoble
C'est dans la petite combe de Fambétou, entre le Pic Saint Loup et l'Hortus, que Jean Orliac a sublimé le potentiel des cônes d'éboulis calcaires. La double exposition nord-sud du domaine offre sept cuvées très variées, alternant éclat et profondeur. Nous avons goûté "La Grande Cuvée" blanc 2021 (IGP Val de Montferrand), assemblage subtil de petit manseng, sauvignon gris, viognier et chardonnay, d'une belle maturité, où les arômes d'agrumes, mandarine et pamplemousse jouent avec une note plus grillée et quelques rappels de garrigue, pour une digne longueur en bouche... Côté rouge, nous étions impatients de découvrir "L'Ombrée" 2019 (AOC Pic Saint Loup), cuvée mythique, issue d'une parcelle accrochée à mi-pente du Pic Saint Loup, sous son versant nord. Syrah délicate, mémorielle d'une grande ombre généreuse. Un rouge équilibré, soyeux. Robe grenat, complexité du mariage de toutes les baies rouges, dans une jolie frénésie amoureuse. Avec "L'Ombrée", on a envie de se poser, au coin d'une cheminée, un soir d'hiver ou peu importe, et, simplement, de goûter au meilleur de ce que l'homme est capable de créer, pour le bonheur des autres. Merci à la famille Orliac ! Nous reviendrons vite !
Domaine de l'Hortus / 34270 Valflaunès / 0467553120 / contact@domaine-hortus.fr / www.domaine-hortus.fr
© Matthieu Prier
Un remerciement chaleureux et amical à Caroline Malbois et à toutes les familles de vignerons de Vignobles & Signatures, partenaires du Prix Blù Jean-Marc Roberts, pour ce dimanche d'amitié partagée, et de dégustation exceptionnelle.
www.vsclub.com
© Matthieu Prier
© Matthieu Prier
Commentaires